Liberté des marginaux et Convention européenne des droits de l’Homme

Par Anne-Blandine Caire, Professeur de droit privé et de sciences criminelles, Université Clermont Auvergne, CMH EA 4232, F-63000 Clermont-Ferrand, France

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: (…)

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond. »

Convention européenne des droits de l’Homme
Article 5 § 1 e)

Dès le milieu des années 1980, l’article 5 § 1 e) de la Convention européenne des droits de l’Homme avait retenu l’attention de la doctrine. Dans son ouvrage intitulé La Convention européenne des droits de l’Homme et le droit à la liberté de certains malades et marginaux, paru en 1986, Thomaïs DOURAKI¹ se penchait déjà sur cette disposition à la formulation si particulière sur le fondement de laquelle la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu une abondante jurisprudence.

Que l’on soit féru de sociologie de la déviance ou adepte de la pensée foucaldienne, on ne peut qu’être étonné de voir l’un des plus grands textes protecteurs des droits et libertés créer une catégorie inédite de déviants d’une part, autoriser la détention d’individus pour des raisons autres que la commission d’une infraction pénale, d’autre part.

Car, qu’on le veuille ou non, c’est bien de cela qu’il s’agit : parmi les exceptions au droit à la liberté et à la sûreté, l’alinéa e) envisage les privations de liberté de cinq types d’individus dont le point commun est la marginalité. Est-il question, pour reprendre les termes de Jacques Ellul, d’ « élimine [ r ] l’inadapté, le dangereux, le déviant »²? Ou l’enjeu est-il différent, moins caricatural ? Les privations de libertés des marginaux sont-elles une sorte de compromis entre le grand renfermement³ et la protection des personnes vulnérables ?

La lecture de la jurisprudence européenne apporte assurément de nombreux éléments de réponse à ces questions. Elle exige non seulement que la dangerosité sociale et individuelle du marginal soit établie mais encore que les garanties prévues pour les autres formes de détentions (droit au recours juridictionnel, droit à l’information et droit à réparation) lui soient offertes. Quoi qu’il  en soit, malgré les éclaircissements apportés par ladite jurisprudence, la formulation de l’article 5 § 1 e) ne cesse de surprendre. Elle nous rappelle que la tentation de l’enfermement et les mécaniques disciplinaires ne sont pas l’apanage du système pénal mais la manière dont nos sociétés gèrent certaines populations. Ce constat revêt assurément une portée particulière à l’heure où une grande partie de la population mondiale est confinée pour éviter la propagation du COVID-19.

A.-B. C

Pour aller plus loin: Anne-Blandine CAIRE, Liberté des marginaux et Convention européenne des droits de l’Homme, Préf. Jean-Pierre MARGUENAUD, Ed. universitaires européennes, Saarbrücken, 2012⁴.

1. Thomaïs Douraki, La convention européenne des droits de l’Homme et le droit à la liberté de certains malades et marginaux, Coll. « Bibliothèque de droit international », LGDJ, Paris, 1986 [↩]
2. Jacques Ellul, Déviances et déviants dans notre société intolérante, ERES, 2013, p. 101 [↩]
3. Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Tel, Gallimard, Paris, 1972 [↩]
4. Recension par Gildas ROUSSEL, Revue de sciences criminelles, 2013, p. 1009 [↩]

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