L’impact des actes de cruauté sur les animaux dans le parcours criminel

Par Elodie MALVAL, Ancienne étudiante du Master Carrières Judiciaires, chargée de travaux dirigés Université Clermont Auvergne, CMH EA 4232, F-63000 Clermont-Ferrand, France

Comment un être humain peut-il devenir criminel ? Cette question, qui fascine, est par essence très complexe. Il existe en effet une multitude de raisons qui peuvent expliquer le basculement d’un individu dans la criminalité.

L’étiologie criminelle, branche spécifique de la criminologie, est l’étude des causes qui conduisent un individu au crime. Son objectif est de repérer les facteurs pouvant être potentiellement criminogènes. Cependant, ces derniers n’ont pas tous le même impact sur chaque personne. En effet, nous réagissons tous différemment aux divers stimuli auxquels nous sommes exposés. En fonction de notre personnalité et de notre vécu, nous allons être plus ou moins influencés par ces différents facteurs criminogènes. Ils peuvent être endogènes, c’est-à-dire inhérents à l’individu : il s’agit alors essentiellement de facteurs biologiques. Ils peuvent aussi être exogènes, autrement dit extérieurs à la personne. Ils sont extrêmement nombreux et variables. Le plus déterminant est sans conteste le milieu dans lequel on grandit.

Nous allons étudier le cheminement qui conduit une personne vers un parcours criminel au prisme d’un facteur exogène particulier : la cruauté envers les animaux¹.

Un parcours criminel, c’est celui d’un individu qui se livre, au cours de son existence, à une pluralité de crimes ou délits. Or, il n’est pas rare d’observer que le point de départ de nombreux parcours criminels est la cruauté envers les animaux. Il convient donc de déterminer plus précisément quel est l’impact de ce type de cruauté dans un parcours criminel. Les actes de cruauté envers des animaux peuvent-ils être les éléments déclencheurs qui entraînent un être humain dans la criminalité ? 

Nous verrons dans un premier temps quelles peuvent être les répercussions des actes de cruauté sur les animaux de compagnie dans le parcours criminel (I). Nous analyserons dans un second temps l’impact des violences institutionnalisées sur les animaux dans le parcours criminel, en prenant l’exemple du travail en abattoir (II).

I. L’influence de la cruauté envers les animaux de compagnie dans le parcours criminel

Les jalons concernant le degré de cruauté d’un être humain ont été posés par la psychiatrie contemporaine, qui définit des concepts primordiaux pour une bonne compréhension du crime. Elle appréhende notamment ceux d’empathie et de personnalité antisociale, qui présentent des liens étroits avec la cruauté à l’égard des animaux.

Ces deux notions sont donc véritablement centrales pour notre étude, tout particulièrement celle d’empathie, qui tient son étymologie du terme allemand “Einfühlung” et renvoie à la projection d’une personne dans la situation de l’autre². D’après le psychiatre Jean DECETY, “l’empathie ne peut s’envisager que lorsque la personne fait l’expérience d’une réponse émotionnelle face à l’émotion d’autrui”³. Elle est dotée de trois dimensions: la composante affective, la distinction soi-autrui et la régulation émotionnelle. Cela implique donc la capacité de ressentir une émotion appropriée, d’être conscient de la source de l’émotion, d’identifier l’état mental d’autrui et de réguler ses propres émotions⁴. En 1996, le neurologue italien Giacomo RIZZOLATTI, fait la découverte des  neurones miroirs⁵. Ceux-ci s’activent lorsque l’individu réalise une action ou lorsqu’il l’observe de l’extérieur. Partant, pour qu’il puisse comprendre le geste d’une autre personne, il doit activer ses propres neurones moteurs, comme s’il était lui-même le participant et non un observateur⁶.

Il est possible d’évaluer l’empathie grâce à la mise au point de tests de quotient d’empathie⁷. L’Empathy quotient, développé par Simon BARON-COHEN et Sally WHEELWRIGHT en 2004, vise à afficher un score basé sur soixante items. S’il a dans un premier temps été élaboré pour détecter l’autisme, il peut aussi favoriser le diagnostic d’autres troubles ou pathologies.

Les personnes qui présentent des troubles de la personnalité antisociale ont également des capacités d’empathie très faibles voire inexistantes. C’est donc assez naturellement que se pose la question de savoir comment définir une personnalité antisociale. 

D’après le DSM⁸, la psychopathie et la sociopathie sont deux troubles de la personnalité dite antisociale, qui présentent essentiellement les caractéristiques suivantes⁹: incapacité à concevoir les autres comme des êtres humains, indifférence aux normes sociales, absence de remords ou de culpabilité, incapacité à tirer profit d’une expérience, état permanent d’agitation et de dysphorie, incapacité à supporter l’ennui et à tenir ses engagements¹⁰. Il faut impérativement garder à l’esprit qu’elles ne sont pas reconnues comme des maladies mentales. Par conséquent, elles ne constituent pas des causes d’irresponsabilité pénale.

Ces deux troubles, considérés comme une déviation de la norme par le DSM- V¹¹,  présentent toutefois des différences importantes.

La psychopathie peut essentiellement se repérer grâce à la PCL-R¹², qui évalue les tendances psychopathiques d’une personne. Elle définit l’individu psychopathe principalement comme un être égocentrique, impulsif, irresponsable, qui n’éprouve ni remords ni culpabilité et qui fait preuve de relativement peu d’émotions. La plupart d’entre eux sont très violents, voire sadiques. Ces causes seraient biologiques ou génétiques¹³.

Si la psychopathie est innée, la sociopathie relève, elle, de l’acquis. Hormis cette différence, les sociopathes sont assez proches des psychopathes, si ce n’est qu’ils sont généralement moins impulsifs. A long terme, la sociopathie résulte des réactions de l’individu face à un environnement social défavorable. L’influence principale va ainsi  émaner du milieu, qui se définit en criminologie comme “l’environnement dynamique en interaction constante avec l’individu qui peut le modifier et en subit l’influence”¹⁴. Le plus criminogène est incontestablement le milieu familial.

En dépit du fait que la sociopathie ne peut pas se détecter avant l’âge adulte, le psychiatre australien John MACDONALD crée en 1963 le concept de “Triade de Macdonald”¹⁵. Selon lui, la présence cumulative de trois caractéristiques précises chez les jeunes enfants est un signe précurseur de futures conduites antisociales. Il s’agit de la pyromanie, de l’énurésie et de la cruauté envers les animaux. Elles sont pour lui annonciatrices de sociopathie.  La plupart des psychiatres refusent de reconnaître les deux premiers critères. En revanche, la cruauté envers les animaux fait l’objet d’un consensus quant à sa nature de signe précurseur.

En conséquence, la cruauté envers les animaux est intégrée en 1987 dans le DSM-III en tant que symptôme pouvant révéler des troubles ou pathologies¹⁶. Elle sert ainsi en grande partie à déceler des troubles de la personnalité antisociale.

La psychiatrie envisage aussi la cruauté envers les animaux en tant que symptôme servant à la réalisation d’un diagnostic.

Afin de mieux comprendre son impact dans le parcours criminel, on peut recourir à divers instruments pour mesurer son ampleur. Évoquons les deux principaux¹⁷.

• Le premier est l’entretien sur le comportement antisocial, qui sert à faire état des diverses formes de comportements antisociaux et destructeurs¹⁸. L’inconvénient est qu’il se base sur les révélations faites par les parents au sujets de l’attitude de leurs enfants. Or, ils ne peuvent pas connaître tous leurs faits et gestes.
• Le second est le Children and Animals Assesment Instrument (CAAI). C’est le premier instrument développé scientifiquement pour mesurer la cruauté enfantine envers les animaux. Il répertorie les neuf aspects de la cruauté, dressés par Franck ASCIONE : la gravité, qui concerne le degré de douleur infligé à l’animal, la fréquence dans le temps, la durée de l’acte de cruauté, la tendance, qui désigne en réalité le type d’acte commis, la diversité quant aux actes infligés, à la manière de procéder et aux types d’animaux concernés, le degré de préoccupation pour l’animal maltraité, qui vise à savoir si l’enfant a éprouvé des remords, la dissimulation, le degré d’isolement, c’est-à-dire la question de savoir si l’acte a été commis individuellement ou collectivement, et, enfin, l’empathie. Cet instrument permet donc de réaliser une évaluation quantitative et qualitative de la cruauté envers les animaux, ce qui peut s’avérer très intéressant pour des études criminologiques mais également pour la réalisation d’évaluations cliniques.

L’individu qui se livre à un acte de cruauté envers un animal, peut lui-même précipiter son propre parcours criminel. Il est en effet reconnu que ce type d’actes, d’une violence inouïe, peut entraîner une insensibilisation à la violence, renforcer le plaisir d’infliger de la douleur¹⁹, créer une distorsion de l’empathie²⁰ et faciliter le passage à l’acte sur des humains²¹. Cela crée donc une désinhibition importante chez l’individu, qui va avoir besoin d’étapes intermédiaires avant de s’en prendre à des personnes. 

Nous allons voir que bien souvent le parcours criminel d’un individu commence généralement sur des animaux de compagnie, essentiellement pour les meurtres en série (A). Quant à la cruauté enfantine sur des animaux, elle doit être prise très au sérieux car c’est bien souvent là que le parcours criminel trouve ses sources (B).

A. Le continuum cruauté envers les animaux -cruauté envers les humains dans les meurtres en série

Bien souvent les actes de cruauté sur les animaux marquent le commencement d’une continuité de crimes.

 Si toutes les infractions envers les animaux ne débouchent pas sur un parcours criminel, dans la pratique, beaucoup de condamnés pour des faits criminels de grande violence ont des antécédents de cruauté envers les animaux. Ce phénomène d’escalade de la violence désigne un accroissement progressif de l’agressivité, voire du sadisme d’un individu. Autrement dit, c’est un processus d’aggravation et d’intensification de la violence. Dès lors, comment définir la violence?

Elle est unanimement décrite comme “l’utilisation intentionnelle de la force physique, de menaces à l’encontre des autres ou de soi-même, contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, des dommages psychologiques, des problèmes de développement ou un décès”²². Cela englobe donc aussi la cruauté, qui correspond à son degré le plus élevé.

En 1979, le chercheur Alan R. FELTHOUS²³ s’intéresse à des patients internés en psychiatrie. Il part d’un échantillon de 429 patients psychiatriques adultes et distingue, d’une part les sujets agressifs, d’autre part ceux qui ne présentent pas de signes apparents d’agressivité. Vint-trois pour cent des patients agressifs avouent avoir tué des chiens ou des chats par le passé, contre dix pour cent des patients appartenant à l’autre catégorie. De même, dix-huit pour cent des premiers déclarent avoir torturé des animaux, contre seulement cinq pour cent des seconds.

En 1985, Alan R. FELTHOUS réalise une étude du même genre, avec le chercheur Stephen R. KELLERT²⁴. Ils partent d’un échantillon de cent cinquante-deux personnes et les classent en trois catégories : les délinquants agressifs, les délinquants non agressifs et les non-délinquants. Parmi la première catégorie, à savoir les délinquants agressifs, vingt-cinq pour cent révèlent avoir commis au moins cinq actes de cruauté envers des animaux durant leur jeunesse. Concernant la deuxième catégorie, ce chiffre descend à six pour cent et, pour les non-délinquants, le résultat est de zéro. Ils en concluent donc que les délinquants agressifs sont significativement plus cruels que les autres.

Une dernière illustration, tend à démontrer qu’il y aurait bien une escalade de la violence, débutant sur des animaux. A la fin des années 70, le Federal Bureau of Investigation commence à explorer la possibilité que la cruauté sur les animaux présente un lien très fort avec des crimes violents. En 1988²⁵, ses membres menèrent une étude consistant à s’entretenir avec des criminels, pour voir s’ils présentaient des antécédents de cruauté sur des animaux. Trente-six pour cent d’entre eux confièrent s’être livrés à des actes de cruauté quand ils étaient enfants, et quarante-six pour cent avouèrent avoir commis de tels actes une fois adolescent. On constate donc une augmentation de dix pour cent entre l’enfance et l’adolescence. L’escalade de la violence a donc pu commencer plus tardivement chez certains d’entre eux. On peut en effet émettre l’hypothèse que chez ces individus l’iter criminis a été plus long²⁶. Cependant, l’explication peut être tout à fait différente: dans certains cas un événement déclencheur a pu se produire seulement à l’adolescence. Il peut dès lors exister une multitude de raisons criminogènes. Il faut toutefois signaler que les enquêteurs qui avaient recueilli leurs propos ont estimé qu’il était fort probable que ces chiffres soient en réalité bien plus élevés.

Le FBI qui a pu interroger un grand nombre de tueurs en série a  permis de corroborer toutes ces études. Il a en effet remarqué une dynamique constante : tous les tueurs, ayant commis au moins trois meurtres, ont commencé leurs parcours criminels enfants en se livrant à des actes très cruels sur des animaux. Certains ont même révélé avoir fait preuve d’un niveau de sadisme très important. Ainsi, les enquêteurs du FBI ont expressément  déclaré qu’il y avait une continuité entre la cruauté sur des animaux et celle sur des humains²⁷.  Les actes de cruauté commis envers les animaux signalent donc le début d’un parcours criminel,  qui sera bien souvent extrêmement violent.

Par conséquent, en 2015, le FBI a pris la décision d’enregistrer les infractions contre les animaux en tant que crimes. Les actes de cruauté envers les animaux étaient jusque là collectés dans la catégorie “tous les autres délits” au sein de l’Uniform Crime Reporting. Depuis le 1^er janvier 2016, ils sont désormais reportés dans la National Incident-Based Reporting System (NIBRS)²⁸, la base de données où sont enregistrés tous les crimes les plus graves. Celle-ci répartit les actes de cruauté envers les animaux en quatre catégories : les maltraitances graves, la torture, les sévices de nature sexuelle et les actes de cruauté organisés tels que les combats de chiens. La qualification de crime concernant la cruauté envers les animaux est cependant propre au FBI, ce qui signifie que cela n’emporte aucune conséquence juridique.

L’intérêt de ce nouveau dispositif est de pouvoir repérer plus rapidement des individus dangereux qui risquent de commettre des crimes d’une grande violence. Les actes de cruauté envers les animaux font alors office de signaux d’alerte.

Le FBI a lui-même indiqué que les actes de cruauté sur les animaux pouvaient aider à mieux comprendre certains crimes violents.

B. Les actes de cruauté envers les animaux commis par des enfants, marqueurs de violences familiales extrêmes

La cruauté enfantine envers les animaux est révélatrice d’un profond sentiment de détresse de l’enfant. C’est un phénomène criminel particulièrement complexe à appréhender.

Si l’on remonte aux racines latines du mot enfant, en se rend compte que l’infans était à l’origine celui qui n’avait pas encore acquis le langage. L’infantia, c’est-à-dire l’enfance, faisait quant à elle référence à l’incapacité de parler. L’idée sous-jacente à ces deux notions est celle selon laquelle l’enfant se trouve à un stade de sa vie où il doit encore se développer afin d’acquérir certaines capacités cognitives, comme le langage. Pour  les psychologues Anne BAUDIER et Bernadette CELESTE²⁹, l’étymologie de ces deux termes renvoie à la notion d’inachèvement. En ce sens, pendant toute son enfance, l’infans va se développer et construire sa personnalité, qui est encore en formation.

La criminologie ne peut donc pas appréhender l’enfant délinquant comme elle le ferait pour le majeur criminel, puisqu’il se trouve dans une phase d’apprentissage.

Notre système juridique tient compte de cette particularité de l’enfant, c’est la raison pour laquelle il lui réserve un traitement de faveur. Il établit ainsi une différence de régime juridique entre les majeurs, définis à l’article 414 du Code civil, et les mineurs, définis à l’article 388 du même code. Le droit pénal des mineurs est plus clément que le droit pénal réservé aux majeurs³⁰. Pour retenir la responsabilité pénale d’un mineur, il faut que celui-ci soit discernant. Les critères pour apprécier le discernement d’un enfant ont été posés par l’arrêt Laboube rendu par la chambre criminelle de la cour de cassation le 13 décembre 1956³¹. Il faut ainsi que “le mineur dont la participation à l’acte matériel à lui reproché est établie, ait compris et voulu cet acte (…) toute infraction, même non intentionnelle, suppose en effet que son auteur ait agi avec intelligence et volonté ». Les deux critères cumulatifs sont donc la compréhension et la volonté d’accomplir l’acte. En vertu de la présomption d’irresponsabilité pénale du mineur, c’est au ministère public de démontrer que l’enfant était discernant au moment des faits. S’il ne parvient pas à le prouver, la responsabilité pénale du mineur ne pourra pas être engagée. C’est le juge des enfants qui apprécie cela in concreto. Ainsi, lorsque l’acte illégal n’est pas réalisé par un majeur, son appréhension est totalement différente.

Les réactions populaires sont également très différentes lorsqu’un tel acte est commis par un enfant, considéré comme un être “innocent”. Généralement, la cruauté enfantine suscite ainsi effroi et incompréhension.

Cela pose alors la question de savoir pourquoi et comment l’enfant peut devenir violent, et plus spécifiquement comment naît en lui cette cruauté. Il y a essentiellement trois raisons qui poussent l’enfant à devenir cruel envers un animal.

-L’enfant peut tout d’abord être ou avoir été témoin de scènes de violences envers d’autres membres de sa famille. L’hypothèse la plus fréquente est la violence du père à l’égard de la mère devant l’enfant.

-L’enfant peut ensuite être témoin de maltraitance ou cruauté envers les animaux.

-L’enfant peut enfin être ou avoir été victime d’abus physiques ou/et sexuels.

Le fait pour un enfant d’être témoin de scènes de violences est un facteur criminogène avéré. En 2006, une étude canadienne a recherché si les enfants témoins de violences domestiques étaient significativement plus cruels avec les animaux que ceux qui n’étaient pas témoins de telles scènes. Elle s’appuie sur un échantillon de quarante-sept mères qui ont été victimes de violences conjugales devant leurs enfants, et quarante-cinq qui ne l’ont pas été. Les résultats démontrent que les enfants exposés à la violence ont beaucoup plus de chances de faire preuve de cruauté envers les animaux que ceux qui ne le sont pas. L’auteur en conclu qu’il existe une corrélation entre l’exposition prolongée d’un enfant à des violences domestiques et sa cruauté envers des animaux³².

Il en est de même pour l’exposition prolongée à des scènes de cruauté sur des animaux émanant des parents. On peut expliquer cela par le fait que le milieu familial joue un rôle d’apprentissage social et affectif pour l’enfant, qui peut être tenté de reproduire ce qu’il voit. “Le milieu familial est d’une importance prépondérante pour l’enfant dans la mesure où il est le lieu des premières relations et des premiers apprentissages³³”. Chaque famille confère ainsi à l’enfant un système de valeurs spécifiques, qui peut certaines fois différer de celui du reste de la société³⁴.

Ainsi, ce milieu peut parfois être intrinsèquement criminogène pour l’enfant, pas encore capable de discerner le bien du mal. Dès lors, s’il observe de la violence, que ce soit sur un membre de sa famille ou sur un animal, il peut la banaliser et être amené à la reproduire.

L’entourage de l’enfant a donc un impact déterminant dans le développement de sa personnalité criminelle. Par conséquent, une carence éducative ou de la maltraitance vont avoir des répercussions négatives sur le développement de l’enfant ainsi que sur sa capacité d’empathie³⁵. La cruauté enfantine sur des animaux peut dès lors être due à un manque d’empathie envers l’animal.

Les chercheurs KELLERT et FELTHOUS proposent également une autre raison qui conduirait l’enfant à faire preuve de cruauté envers les animaux et qui serait le déplacement de l’agression. Lorsque celui-ci est victime de maltraitance verbale, physique, d’abus sexuels ou qu’il est négligé par ses propres parents, qui ne lui portent aucun intérêt ni affection, il peut accumuler une grande frustration. Celle-ci va progressivement se transformer en agressivité, qu’il aurait besoin d’extérioriser à un moment donné. L’enfant va faire du mal à un animal parce qu’il n’a pas la possibilité de s’en prendre à son bourreau, qui est bien souvent le père. Il va dès lors déplacer son agressivité sur une cible à sa portée. Il va ainsi dans un premier temps tenter d’évacuer toute sa frustration et sa colère. Or, il peut finir par y prendre goût. Il passe en effet d’un sentiment d’impuissance, face au père ou à la mère, à un sentiment de puissance et de contrôle, sur un être plus faible que lui³⁶. Ce phénomène est donc très dangereux, puisque c’est comme cela qu’il peut développer des troubles de la personnalité antisociale.

Il convient également pour bien comprendre le lien étroit entre les enfants eux-mêmes victimes et les enfants coupables de s’intéresser à un cas bien particulier qui confirme bien l’hypothèse du déplacement de l’agressivité : le syndrome de Münchhausen par procuration.        

Il  concerne des personnes ayant autorité sur un mineur ou des personnels de santé travaillant en pédiatrie qui vont inventer des symptômes inexistants à leurs enfants ou leurs jeunes patients. Ils vont ainsi leur faire prendre des médicaments ou leur imposer certains traitements, alors que ces jeunes  n’en ont absolument pas besoin.  Il s’agit donc d’une forme d’automédication, qui peut mettre la santé de l’enfant en danger, voire la compromettre très fortement. L’administration inutile de ces médicaments peut empoisonner l’enfant et, dans les cas les plus graves, conduire à son décès.  Ces actes sont constitutifs de maltraitances infantiles et peuvent être traumatisants pour l’enfant. Dans environ quatre-vingt-dix pour cent des cas, ce sont des mères de familles qui sont atteintes de cette pathologie³⁷.

Des psychiatres spécialistes de ce syndrome, comme Donna ROSENBERG,  estiment qu’il existe essentiellement trois caractéristiques communes à ce syndrome lorsqu’il émane de mères de famille : elles mentent sur la santé de leurs enfants, elles compromettent la santé et la sécurité de leurs enfants, ce qui peut ainsi générer un traumatisme chez ces derniers, et elles cherchent à attirer l’attention du personnel médical par ce biais là.

Or, en 2001, les chercheurs-vétérinaires  MUNRO et THRUSFIELD ont réalisé une étude au Royaume-Uni, sur les suspicions de vétérinaires sur la cruauté envers les animaux. Plus de quatre-cents vétérinaires ont répondu à leur enquête. Celle-ci s’appuie au total sur quatre-cent-quarante-huit cas de cruauté envers les animaux. Deux pour cent d’entre eux seraient a priori commis par des enfants victimes du syndrome de Münchhausen par procuration. Dans ces cas précis, les animaux auraient été victimes d’empoisonnements, tout comme les enfants l’ont eux-mêmes été³⁸. Il s’agit bien là d’un exemple flagrant de l’hypothèse du déplacement de l’agressivité. La principale difficulté est de s’apercevoir de cette cruauté enfantine envers les animaux. Elle est souvent dissimulée, essentiellement parce qu’elle se déroule la plupart du temps dans un milieu familial où les parents encouragent de tels comportements qu’ils adoptent parfois eux-mêmes. Des parents négligents ou violents ne vont généralement pas signaler les comportements cruels de leurs enfants.

Nous avons étudié jusque là uniquement des violences commises sur des animaux domestiques. Si la cruauté à leur encontre suscite une réprobation générale, celle qui concerne les animaux d’élevage et les animaux sauvages, est moins sévèrement jugée. Certains actes de cruauté sont tolérés voire acceptés: c’est le cas de certaines pratiques légales telles que la chasse, l’abattage, etc.

Il convient donc assez logiquement de se demander si ces différentes violences peuvent aussi avoir un impact dans le parcours criminel. Pour cela, nous étudierons les violences institutionnalisées et essayerons de voir si elles peuvent constituer des facteurs criminogènes, à l’instar des violences socialement condamnées (II).

II. L’influence des violences institutionnalisées sur les animaux dans le parcours criminel

Il convient d’étudier l’abattoir, comme un milieu bien spécifique. Afin de savoir s’il peut être par essence criminogène, il  faut se pencher sur son fonctionnement (A). Il est en effet rempli de stimuli susceptibles d’avoir un impact psychologique très important chez l’opérateur d’abattage (B).

A. Le travail en abattoir, un environnement par essence criminogène

Nous allons maintenant nous pencher sur le cas singulier du travail en abattoir. Sa particularité réside dans le fait que la personne qui s’occupe de la mise à mort de l’animal ne le fait pour satisfaire ses pulsions mais par contrainte (contrairement aux hypothèses vues dans la partie précédente). Cette tâche professionnelle se réalise dans un cadre parfaitement légal, ainsi l’opérateur d’abattage n’encourt-il aucune sanction pénale. Cependant, on peut tout de même se demander si un tel cadre de travail peut avoir des répercussions psychologiques sur l’individu concerné.

Très éprouvant, ce travail inflige aux salariés la vue et l’odeur du sang mais également la vision d’animaux qui tentent de se débattre et crient. La demande importante de consommation de viande leur impose des cadences insoutenables. La consommation mondiale de viande représente en effet cinquante-trois milliards d’animaux abattus par an³⁹. Le nombre d’animaux tués dans les abattoirs est cent fois plus élevé que la somme de tous les autres animaux tués dans les autres secteurs parfaitement légaux, c’est-à-dire la chasse, les élevages de fourrure ou encore l’expérimentation animale⁴⁰. Dans ces conditions, c’est un travail qui apparaît comme physiquement et psychologiquement difficile.

Ce problème est soulevé pour la première fois aux Etats-Unis en 1906, lorsque le journaliste américain Upton SINCLAIR publie son ouvrage intitulé La jungle⁴¹. Celui-ci aborde les conditions de travail au sein des abattoirs de la ville de Chicago. Il décrit les dures conditions de travail des salariés sous-payés, qui mènent une partie d’entre eux à la dépression et à l’alcoolisme. Il relate également les conditions affligeantes d’abattage des animaux et le manque d’hygiène. Dès sa publication, cet ouvrage connaît un important retentissement médiatique. Face à l’ampleur de ce scandale, le président de l’époque, Theodore ROOSEVELT, ordonne qu’une expertise soit menée pour vérifier l’exactitude de ce qui est décrit. Celle-ci confirme officiellement les descriptions d’Upton SINCLAIR⁴².

Le rythme insoutenable n’a pourtant pas baissé et, actuellement, vingt-trois millions d’animaux sont tués chaque jour dans les abattoirs des Etats-Unis, ce qui correspond à seize mille bêtes par minute et deux-cent soixante par seconde⁴³.

En France, le journaliste  Geoffrey LE GUILCHER a réalisé une enquête similaire, en infiltrant durant quarante jours un abattoir français. En 2017, il publie à son tour un ouvrage intitulé Steak machine⁴⁴ dans lequel il décrit les conditions de travail des employés et la maltraitance omniprésente des animaux. Pour lui, la cadence insoutenable entraîne inéluctablement un traitement indigne des hommes mais aussi des animaux. Il vient donc corroborer la thèse avancée par Upton SINCLAIR il y a plus d’un siècle.

Le travail en abattoir serait donc susceptible d’accroître la violence de l’individu qui accomplit de telles missions. Certaines décisions judiciaires semblent donner corps à cette thèse. Tout d’abord, le tribunal correctionnel d’Alès s’est prononcé le 28 avril 2017 sur l’affaire de l’abattoir du Vigan: il a qualifié les faits d’actes de cruauté envers des moutons. L’un des employés a été condamné à huit mois de prison avec sursis, à deux-mille euros d’amende et à une interdiction d’exercer dans un abattoir pendant cinq ans. Le tribunal correctionnel de Bastia s’est prononcé à son tour le 9 octobre 2017 sur des faits similaires commis au sein de la prison ouverte de Casabianda, située en Corse, où ont lieu des activités d’abattage. L’un des prisonniers a été condamné à six mois de prison ferme, pour des actes de cruauté sur des agneaux.

D’autres affaires judiciaires suggèrent qu’il y aurait aussi un lien entre les actes de cruauté commis sur des animaux au sein des abattoirs et des montées de violences à l’encontre d’autres humains.

A titre d’exemple, il est possible de citer l’affaire Patrick Charles HANNON  Versus State of Florida du 31 août 2006⁴⁵. En l’espèce, la Cour suprême de Floride a condamné le détenu Patrick Charles Hannon à la peine capitale pour un double meurtre commis en 1991. Or, lors de son procès, l’attention se focalise sur sa manière de procéder pour tuer l’une de ses victimes : il a reproduit un geste qu’il avait l’habitude de réaliser quotidiennement, c’est-à-dire l’égorgement. Avant de réaliser son double meurtre, il travaillait en effet dans un abattoir où il était chargé de procéder à la mise à mort des animaux en les égorgeant. Selon ses propres déclarations, le couteau ayant servi à égorger l’une des victimes provenait de son lieu de travail et ce geste était pour lui devenu banal. La question qui se pose alors est de savoir à quel point son travail a pu être décisif dans son parcours criminel. Le travail en abattoir peut-il être réellement constitutif d’un facteur criminogène ?

Dans de nombreux pays anglophones et notamment aux Etat-Unis, cette question est devenue un sujet de préoccupation dès la naissance de la Green criminology⁴⁶. 

Une première étude américaine⁴⁷ réalisée dans l’État du Kansas révèle que, dans le comté de Finney, le taux de délinquance a augmenté de cent-trente pour cent lors des cinq années qui ont suivi la création de deux abattoirs, alors même que la croissance de la population n’avait augmenté que de trente-trois pour cent.

Une autre indique quant à elle⁴⁸ que, dans la ville de Guymont située dans l’Oklahoma, le taux d’arrestations a augmenté de trente-huit pour cent depuis l’installation d’un abattoir.

De nombreuses autres parviennent à la même conclusion. Ainsi, dès qu’un abattoir s’installe dans une ville, il semble que le taux de délinquance et le nombre d’arrestations ait tendance à augmenter.

En 2009, une étude empirique⁴⁹ soulève la question de savoir si d’autres facteurs peuvent  expliquer ces augmentations. Existe-t-il un lien entre l’augmentation des crimes violents dans plus de cinq-cents comtés des Etats-Unis et la création d’abattoirs ?

Pour vérifier cette possibilité, cette étude s’appuie notamment sur des statistiques judiciaires. In fine, les résultats révèlent un pourcentage important de crimes sexuels commis par des employés d’abattoirs alors que le taux des délits et de crimes sexuels n’est pas aussi élevé dans les autres secteurs. De même, le nombre de condamnations pour viols est très élevé chez ces travailleurs. Ces statistiques révèlent également que, plus les chaînes d’abattage sont grandes, plus le nombre de condamnations  risque d’être élevé. La raison principale tient au fait que, plus les cadences sont effrénées, plus la pression est grande. Selon cette étude, les employés d’abattoirs auraient une  plus grande facilité à s’en prendre à des êtres plus faibles qu’eux.

Ces conclusions ont été corroborées par d’autres analyses basées sur des données officielles. On peut notamment citer l’une d’elle⁵⁰ qui a été réalisée dans les Etats de l’Iowa, du Kansas et du Nebraska et qui s’appuie sur les statistiques officielles de ces Etats pour la période de 1998 à 2002. Dans les villes où l’on trouve au moins un abattoir, l’on dénombre cent-soixante six pour cent d’arrestations pour viols de plus que dans celles qui en sont dépourvues. 

A la lecture de ces statistiques officielles américaines, l’hypothèse selon laquelle le travail en abattoir serait constitutif d’un facteur criminogène apparaît comme plausible. Si les employés d’abattoir ne commettent pas tous des crimes et des délits, ils présentent malgré tous plus de risques de passer à l’acte que les personnes employées dans d’autres secteurs. Il semble donc assez évident que ce travail a de lourdes répercussions psychologiques sur l’ensemble de ses salariés : au fil des années, ces derniers ont tendance à devenir plus violents.

D’autres recherches montrent que le taux d’agressivité est généralement très élevé chez les employés d’abattoirs. Parmi elles, l’étude australienne d’Emma RICHARDS et de ses collègues⁵¹, réalisée en 2003 est particulièrement intéressante. Elle est basée sur des questionnaires remplis par quarante et un fermiers et vingt-six employés d’abattoir dans le Queensland en Australie. Ces participants ont dû répondre à un questionnaire visant à évaluer leur degré d’agressivité.

Le questionnaire qui leur a été soumis est “l’agression questionnaire”⁵², créé par Arnold H. BUSS et Mark PERRY en 1992. Celui-ci analyse le degré d’agressivité physique, verbal, la colère et l’hostilité. Les résultats ont indiqué que les employés d’abattoir avaient un score d’agressivité significativement plus élevé que les fermiers. De plus, le score moyen d’agressivité des employés d’abattoir se rapproche de celui des détenus, lequel est très élevé.

En France, les récentes affaires judiciaires précédemment évoquées, qui portent sur des faits d’actes de cruauté sur des animaux commis par des employés d’abattoir, semblent venir confirmer que ce travail entraîne un changement notable chez le salarié.

Celui-ci est plus enclin au stress, à l’agressivité mais également à la dépression et à bien d’autres sentiments négatifs et à des troubles mentaux (B).

B. L’impact psychologique du travail en abattoir sur l’ouvrier

Ce changement comportemental a fait l’objet d’une attention toute particulière lors d’une étude réalisée par Jennifer DILLARD⁵³. Celle-ci s’est intéressée aux répercussions psychologiques et physiques chez les employés d’abattoirs, afin de proposer une réforme législative aux Etats-Unis plus adaptée aux difficultés inhérentes à ce métier.

Elle suggère la possibilité d’un lien entre “la nature cruelle de l’industrie de l’abattoir et les actions cruelles de ses salariés”⁵⁴. Elle rappelle ainsi que la cruauté envers les animaux est l’une des caractéristiques des troubles de la personnalité antisociale.

Or, de nombreux cas de cruauté envers les animaux sont régulièrement recensés au sein des abattoirs et les salariés révèlent parfois s’être amusés à tuer ou infliger de la douleur aux animaux. D’après Jennifer DILLARD, ce serait une conséquence au long terme d’un tel travail sur l’ouvrier.

Elle s’appuie ensuite sur le travail mené par la sociologue américaine Rachel MACNAIR, relative au stress post-traumatique de l’auteur d’une agression voire d’un crime⁵⁵. Ce phénomène se nomme en anglais “Perpetration-Induced Traumatic Stress », on le retrouve souvent sous son acronyme PITS. Cette étude décrit les symptômes, ressentis par l’auteur d’un acte cruel réalisé sous une contrainte morale. Lesdits symptômes sont l’anxiété, la panique, la dépression, l’alcoolisme ou encore l’addiction aux drogues. Selon Rachel MACNAIR, ces effets se retrouvent principalement chez les vétérans de guerre ayant été dans l’obligation d’exécuter d’autres personnes. Elle explique par ailleurs que les effets de cette forme de stress post-traumatique se manifestent également parmi les employés des abattoirs. Partant de là, l’étude de Jennifer DILLARD suggère que le taux élevé de consommation de drogues et d’alcool parmi les employés d’abattoirs pourrait être une preuve de l’impact psychologique de ce travail. A ce titre, on peut justement relever que l’ouvrage d’Upton SINCLAIR mentionnait déjà ces effets il y a plus d’un siècle⁵⁶.

Les sciences sociales commencent à inclurent dans leurs champs de recherche les relations que les hommes entretiennent avec les animaux⁵⁷. Cet intérêt a réellement commencé à émerger en France à partir de 2001, à la suite de l’abattage en masse d’un grand nombre d’animaux en Europe à la suite d’une épidémie de fièvre aphteuse⁵⁸. La question de la réification de l’animal dans nos sociétés contemporaines apparaît alors.

La sociologue Catherine REMY s’intéresse ainsi aux relations entre les hommes et les animaux dans le contexte particulier de l’abattage. Elle réalise une étude ethnographique au sein d’un abattoir du massif central employant une dizaine de personne. La principale caractéristique de son organisation est l’absence de direction sur place, qui entraîne une absence de division hiérarchique. Le contrôle, seulement assuré par la visite d’un vétérinaire en fin de matinée, est très faible. Les employés ont une marge de liberté très importante⁵⁹. La sociologue parle de subjectivisation positive lorsque l’animal est perçu positivement et comme un être sensible, et de subjectivisation négative lorsque l’animal est perçu comme un ennemi⁶⁰. L’observation du fonctionnement de cet établissement a permis de se rendre compte qu’il existe un code implicite propre à ce milieu⁶¹. On trouve ainsi une distinction entre les “tueurs” et les “non tueurs ». Les ouvriers chargé de la mise à mort des animaux sont officiellement dénommés des opérateurs d’abattage, mais, au sein de l’abattoir, ils sont officieusement appelés les “tueurs” et sont ostracisés par les autres ouvriers. Cela peut ternir l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Leurs tâches se déroulent à l’abri de tous les regards, même des autres ouvriers. L’établissement en lui-même présente également un caractère occulte. L’opérateur d’abattage est dès lors contraint de travailler dans un endroit confiné et de garder pour lui ce qu’il fait ce qui est susceptible de provoquer chez lui une attitude de repli sur soi. Il peut dès lors devenir de plus en plus distant avec ses proches. Une autre conséquence majeure qui peut survenir est une perte d’empathie progressive à l’égard des animaux, puis des hommes. Pour pouvoir abattre des animaux, les ouvriers sont en effet obligés de créer une certaine distance avec eux et de se détacher de ce qu’ils peuvent ressentir⁶².

Le témoignage d’un ancien employé d’abattoir permet de corroborer les résultats de cette étude sur les conséquences psychologiques du travail en abattoir sur le salarié⁶³. Virgil Butler, qui travaillait pour une chaîne d’abattoirs de poulets, a relaté sa détresse psychologique mais également celle des animaux. Il explique ainsi  pourquoi ce travail est éprouvant et comment il détériore la santé mentale et physique de ses ouvriers. Il raconte qu’il ne pouvait pas extérioriser sa souffrance face à l’incompréhension et le dégoût de son entourage pour ce qu’il faisait. Ne se percevant plus que comme un tueur, il a perdu peu à peu toute l’estime qu’il avait de lui-même. Il confesse que, pour pouvoir continuer à faire ce métier, il a dû se détacher de toutes les émotions qu’il pouvait ressentir. Il explique que la plupart des personnes qui travaillent en tant qu’opérateur d’abattage deviennent plus violentes et plus irritables. Au fil du temps, elles ont tendance à s’attaquer à ceux qui les énervent plus facilement qu’auparavant. Par la suite, Virgil BUTLER a également développé des syndromes caractéristiques du stress post-traumatique, à savoir des cauchemars nocturnes  récurrents sur son ancien travail en abattoir.

En définitive, leur travail pousse les employés d’abattoir à s’endurcir et à ressentir moins d’émotions, afin de se protéger. Il s’agit donc bien d’un milieu susceptible d’être criminogène.

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En conclusion, les actes de cruauté sur les animaux dans le parcours criminel constituent bien un facteur criminogène plus ou moins important en fonction de la personnalité du criminel. La cruauté envers les animaux peut même parfois être l’élément déclencheur du parcours criminel. C’est plus particulièrement le cas chez les enfants: leur personnalité est encore en formation et, par conséquent, ils sont plus sensibles aux stimuli qui les entourent.

E. M.

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1. Cet article est tiré d’un mémoire de recherche de fin d’études dirigé par le Professeur Anne-Blandine Caire et soutenu le 2 septembre 2018 à l’Ecole de Droit de Clermont-Ferrand. [↩]
2. Olivier LUMINET, Psychologie des émotions – Nouvelles perspectives pour la cognition, la personnalité et la santé , Paris, éd. De Boeck, 2013. p. 92. [↩]
3. Cité par Olivier LUMINET, Ibid. p.92. [↩]
4. Olivier LUMINET, op. cit., p. 124. [↩]
5. Giacomo RIZZOLATTI, conférence donnée à l’Académie des sciences, déc. 2006. [↩]
6. Olivier LUMINET, op. cit. p. 124. [↩]
7. Ibid. p. 113. Il convient de préciser qu’il existe plusieurs tests de quotient d’empathie. [↩]
8. Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders), a été édité par l’American Psychiatric Association, pour la 1ère fois en 1952 (il en est actuellement à sa 5e version, le DSM-V). Il s’agit de la référence mondiale en psychiatrie. Cependant, il faut également connaître la CIM-10 (Classification Internationale des Maladies), éditée par l’OMS, qui en est à sa 10e version, mais qui jouit cependant d’une moins grande notoriété. Elle parle de “personnalité dyssociale” et non antisociale, elle lui reconnaît toutefois les mêmes caractéristiques. [↩]
9. Elles sont également appréhendées par la nosologie psychiatrique. [↩]
10. Patrick MORVAN, Criminologie, 2e éd., LexisNexis, Paris, 2016, pp. 259-262. [↩]
11. Il distingue l’Axe I, qui comprend les troubles avérés, et les troubles de l’Axe II, qui correspondent aux déviations de la norme. Les troubles de la personnalité antisociale figurent dans l’Axe II. [↩]
12. La Psychopathy Checklist-Revised a été inventée par le psychiatre américain Robert Hare. [↩]
13. Patrick MORVAN, op. cit., pp. 260-262. [↩]
14. Ibid. p. 275 [↩]
15. John MACDONALD, “The Threat to kill”, American Journal of Psychiatry, 1963. [↩]
16. Elle figure actuellement dans le DSM-IV. [↩]
17. Andrew LINZEY (dir.), Le Lien, éd. One Voice, 2011, spéc. pp. 40-43. Sur cet ouvrage, voy.: Estiva REUS, “Violences sur les animaux et sur les humains. Le lien, ouvrage collectif sous la direction d’Andrew Linzey », Cahiers antispécistes n°35, novembre 2012. [↩]
18. Cet instrument a été mise au point par les professeurs Alan E. KAZDIN et Karen ESVELDT-DAWSON. [↩]
19. National Association for Humane and Environmental Education, “Understanding animal cruelty”, Washington, 2001. [↩]
20. Linda MERZ-PEREZ et al., “Childhood cruelty to animals and subsequent violence against humans”, International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, 2001. [↩]
21. Arnold ARLUKE, Franck ASCIONE et al., “The relationship of animal abuse to violence and other forms of antisocial behavior”, Journal of Interpersonal violence, 1999. Voy. égal. Andrew LINZEY (dir.), op. cit., p. 202 [↩]
22. Définition de la violence reprise par l’OMS. [↩]
23. Alan.R FELTHOUS, “Chilhood antecedents of aggressive behavior in male psychiatric patients”, Bulletin of the American Academy of Psychiatry and Law, 1979. [↩]
24. Stephen R. KELLERT et Alan R. FELTHOUS, “Chilhood cruelty toward animals among criminal and noncriminals”, Human Relations, n°12, vol. 38, 1985. pp. 1113-1129. [↩]
25. Robert RESSLER et al., Sexual Homicide : Patterns and motives, Lexington, 1988. Etude citée dans l’ouvrage Le lien: Andrew LINZEY (dir.), op.cit., p.61. [↩]
26. L’iter criminis est le chemin du crime ou encore le cheminement criminel. Il permet de savoir à quel stade d’accomplissement de son parcours criminel un individu se trouve, où il se situe par rapport à la réalisation de l’acte criminel. [↩]
27. Interview de Alan C. BRANTLEY, réalisé par Randall LOCKWOOD et Ann W. CHURCH , publiée dans HSUS News, en 1996. Cette interview est intégralement retranscrite dans l’ouvrage Le lien : Andrew Linzey (dir.), op. cit., pp. 297-302. Alan C. Brantley a travaillé au Centre National pour l’Analyse des Crimes violents et aux Unités d’analyse comportementale et de science comportemental de l’Académie du FBI de Quantico, en Virginie. [↩]
28. La NIBRS, base de données criminelles du FBI, est librement consultable en ligne [https://www.fbi.gov/news/stories/2016-nibrs-data-released]. Pour le rapport de 2016, 1126 cas d’actes de cruauté envers les animaux ont été répertoriés. [↩]
29. Anne BAUDIER et Bernadette CELESTE, Le développement affectif et social du jeune enfant, Paris, éd. Nathan Université, coll. Fac psychologie, 2000. p. 5. [↩]
30. Edouard COPPER-ROYER “L’enfance délinquante”, Justice et Cassation – Revue annuelle des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Dossier “L’enfant”, Didier le Prado (Dir.), Dalloz, 2011, pp.69-76. [↩]
31. Arrêt Laboube, CAss. ch. crim. 13 décembre 1956, n° 55-05.772. [↩]
32. Cheryl L. CURRIE, “Animal cruelty by children exposed to domestic violence”, Child abuse & neglect, 2006, pp. 426-435. [↩]
33. Anne BAUDIER et Bernadette CELESTE, op. cit., p.85. [↩]
34. Ibid. p. 73 [↩]
35. Chantal ZAOUCHE GAUDRON, Le développement social de l’enfant, Paris, 2e édition Dunod, 2010, p. 23. [↩]
36. Andrew LINZEY (dir.), op.cit., p.79. [↩]
37. Frank ASCIONE, CHILDREN AND ANIMALS, exploring the roots of kindness and cruelty , Indiana, Purdue University Press, 2005. PP 50-52. spéc. p.51. [↩]
38. Frank ASCIONE, Ibid. p. 51. [↩]
39. Jean-Baptiste JEANGENE VILMER, Ethique animale, Paris, collection Ethique et philosophie moral, Presses Universitaires de France, 2008, pp. 169-82, spéc. 169. [↩]
40. Ibid. p. 169 [↩]
41. Upton SINCLAIR, La jungle, Le livre de poche, 2011 [↩]
42. Discours de Theodore Roosevelt , “Conditions in Chicago Stockyards : Message from the President on the United States” 59e Congrès, 1e session, 4 juin 1906. [↩]
43. Jean-Baptiste JEANGENE VILMER, op. cit., p.196. [↩]
44. Geoffrey LE GUILCHER, Steak machine, Paris, éd. Goutte d’or, 2017. [↩]
45. Affaire Patrick Charles Hannon V. State of Florida, n° SC03-893, SC04-1662, rendue par la Cour suprême de Floride le 31 août 2016 [↩]
46. Jean-Paul RICHIER, “Opérateurs d’abattage : un métier comme les autres ?”, Médiapart, mars 2016. [↩]
47. Michael J. BROADWAY, “Planning for change in small towns or trying to avoid the slaughterhouse blues”, Journal of rural studies, 2000. [↩]
48. Donald D.STULL et Michael J. BROADWAY, Slaughterhouse blues : The meat and Poultry industry in north america, 2nde éd., éd.Wadsworth, Toronto, 2004. [↩]
49. Amy FITZGERALD et al., “Slaugtherhouses and Increased Crime Rates. An empirical analysis of the spillover from “The jungle” into the surrounding community”, SAGE publications, 2009. [↩]
50. Jessica RACINE JACQUES, “The slaughterhouse, social disorganization, and violent crime in rural communities”, Society and animals, 2015. [↩]
51. Emma RICHARDS et al., “A different cut ? Comparing attitudes towards animals and propensity for aggression within two primary industry cohorts : farmers and meatworkers”, Society & Animals, 2013, pp. 395-413. [↩]
52. Arnold H. BUSS et Mark PERRY “The agression questionnaire”, Journal of personality and social psychologie, 1992. pp. 452-459. [↩]
53. Jennifer DILLARD, “A slaughterhouse nightmare: psychological harm suffered by slaughterhouse employees and the possibility of redress through legal reform”, Georgetown Journal on Poverty Law & Policy, 2008. [↩]
54. Jennifer DILLARD, loc. cit. p. 6. Trad. Elodie MALVAL. [↩]
55. Ibid. pp.7-11. [↩]
56. Upton SINCLAIR, op. cit. [↩]
57. Catherine REMY, La fin des bêtes, une ethnographie de la mise à mort des animaux, Paris, éd. Economica, coll. Etudes sociologiques. 2009, p. 5. Voy. égal. Catherine REMY, “Une mise à mort industrielle “humaine” ? L’abattoir ou l’impossible objectivation des animaux“, Politix,  vol. 16, n°64, pp. 51-73. [↩]
58. ANSES, “La fièvre aphteuse : une maladie ancienne mais qui reste une menace sérieuse pour la santé animale”, [https://www.anses.fr/fr/content/la-fi%C3%A8vre-aphteuse]. [↩]
59. Catherine REMY, op. cit. pp. 35-36. [↩]
60. Ibid. p.29. [↩]
61. Ibid. pp. 41-43. [↩]
62. Ibid. p. 126 [↩]
63. Virgil BUTLER, “Dans le crâne d’un tueur », Cahiers antispécistes, n°23, déc. 2003. [↩]

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